P_3619 ()

147 / 529

On sait qu'après les dix symphonies (1872, 1887, 1894 et 1900), il s'était écoulé plus d'un quart de siècle avant que Charles-Marie Widor ne reprenne la plume pour la Suite latine (1927) et enfin les Trois Pièces nouvelles de 1934. Mais ce silence fut interrompu en 1925 par le Bach's Memento, qui occupe dans l'œuvre pour orgue du compositeur une place très particulière: prenant successivement pour matière première le troisième mouvement de la Pastorale, le prélude en ré mineur et celui en mi mineur du premier livre du Wohltemperierte Klavier, le célèbre Wachet auf, ruft uns die Stimme (lui même déjà une transcription de Bach par Bach…), la Sicilienne de la Sonate en mi bémol pour flûte et clavecin et le chœur final de la Matthäus-Passion, comme dit l'éditeur, Otto Depenheur, il «s'immisce dans les œuvres d'une manière originale, rajoutant des voix, modifiant les harmonies ou même la forme entière». Chacune des pièces de l'édition originale porte d'ailleurs une mention qui ne laisse place à aucun doute sur les intentions de Widor, ardent défenseur de l'orgue symphonique d'Aristide Cavaillé-Coll: Orchestration de Ch. M. Widor, et non arrangement, adaptation ou transcription. En particulier dans la dernière pièce, sans doute la plus réussie, c'est véritablement du Widor que l'on entend, et Bach supporte parfaitement l'intrusion de celui qui, avec Albert Schweitzer (dont il préface en 1904 le célèbre J.-S. Bach, Le Musicien Poète), publie les huit volumes de l'œuvre pour orgue du cantor chez l'éditeur new-yorkais Schirmer. Widor a créé ces six pièces au Conservatoire américain de Fontainebleau dont il était un des fondateurs et depuis 1921 le directeur, dans un concert, le 30 juin 1925.

À ma connaissance, l'édition originale de Hamelle (1925) n'est plus disponible. Merci donc aux éditions Butz de rendre accessible ces pièces très spéciales. La technique d'édition est extrêmement sérieuse et le travail s'appuie, outre l'édition originale en six fascicules, et son second tirage en un seul volume, sur les corrections manuscrites de Widor concernant les deux dernières pièces, conservées à la Bibliothèque Nationale de France. Un appareil critique de trois pages permet au lecteur pointu de mesurer le travail accompli et, le cas échéant, de prendre ses responsabilités en connaissance de cause.

Un intéressant apport à la partithèque de l'honnête organiste.